Joshua Mitchell - «L’Occident a une telle culpabilité qu’il est prêt à détruire sa civilisation pour en sortir» - Quels sonts les dangereux nouveaux Pasteurs ?
LE FIGARO – C’est dans un contexte sombre que l’Amérique commémore le 20ème anniversaire du 11 Septembre. Vingt ans après les attaques contre les tours jumelles, les États-Unis ont quitté l’Afghanistan dans un contexte de débâcle géopolitique. Les talibans sont de retour au pouvoir, la menace terroriste islamiste est plus présente que jamais et les Américains sont empêtrés dans une crise démocratique profonde. Assistons-nous au crépuscule de la puissance américaine? (...)
Joshua MITCHELL, citoyen américain et professeur de théorie politique - (... ) Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, on a raconté aux Américains que l’Amérique était la «cité sur la colline» dont la lumière illuminerait le chemin menant vers la modernisation. Septembre 2001 a été la confirmation brutale, pour la psyché américaine, que cette histoire de modernisation était fausse.
Les néolibéraux, qui gardent largement le contrôle des affaires, pensent que le monde peut se moderniser à travers la propagation de «normes globales». Le secrétaire d’État Antony Blinken a donné l’ordre aux ambassades, à travers le monde, de faire flotter le drapeau de la Gay Pride, une preuve d’un néolibéralisme naïf
L’Afghanistan est tombé en un week-end (... ) Notre faiblesse et notre impotence persisteront aussi longtemps que nos élites insisteront sur le fait que l’Amérique a une mission globale à accomplir, plutôt qu’un objectif modeste consistant à vivre en paix dans un monde de nations (... )
- Alexis de Tocqueville " De la démocratie en Amérique" -
"Tocqueville pensait que si une nation voulait rester bien portante à l’âge démocratique, elle devrait avoir des institutions intermédiaires robustes, comme la famille, l’église, le gouvernement local, la société civile. C’est dans ces institutions médiatrice, que nous apprenons la confiance, mais aussi comment gouverner et être gouvernés, comment développer des compétences, et quelles sortes d’habitudes et de traits de caractère la liberté exige. Malheureusement, Tocqueville avait prédit que ces institutions vacilleraient sans une attention constante, et que le futur serait sombre si les citoyens tombaient dans l’isolement. Nous y sommes. Nous sommes tous devenus ce que j’appelle des «hommes selfies» qui ne pensent plus qu’à eux-mêmes et à l’humanité abstraite"
Ceux qui vivent dans le «monde réel» vivent comme l’humanité a vécu historiquement, dans un monde défini par le temps et le lieu, impliqués dans les tâches de la vie concrète. Ils côtoient la saleté et la mort, au lieu de s’en détacher. La bataille grandissante sur la manière de gérer le Covid traduit cette division avec la «classe digitale» qui estime évident de décréter que les quarantaines et les vaccins nous protégeront complètement de la mort et que nous devons fermer nos économies pour tenir cette dernière à distance.
Ceux qui vivent dans le monde réel savent qu’il s’agit d’une recette menant à l’étouffement économique et reconnaît que la mort ne peut être conjurée pour toujours. Le vrai monde, c’est le leur. L’existence digitale peut être un supplément, pas un substitut. (...)
L’un des maux affligeant la société américaine est l’affaiblissement de la nation au profit d’un nouveau mouvement porté par la gauche, «la politique des identités» - C’est un courant distinctement américain, même si l’Europe semble y succomber aussi. À première vue, ses buts sont nobles.
Ce mouvement vise en réalité à évaluer chaque membre de chaque groupe identitaire en fonction de leur supposée innocence ou culpabilité collective (...) vis-à-vis du «transgresseur primordial», actuellement l’homme blanc hétérosexuel. (...)
La crise de l’Occident est une crise de la culpabilité (...) Pendant la période chrétienne, l’homme pouvait se repentir et pardonner dans un monde imparfait de transgression et de péché, dont seule pouvait nous sauver la grâce de Dieu. Mais qui vit avec cette connaissance en son cœur aujourd’hui? Aujourd’hui, nous vivons avec Rousseau qui nous chuchote que l’homme est naturellement bon,que la violence et la transgression sont exceptionnelles
On peut rêver d’un âge post-chrétien où il n’aurait plus de culpabilité. Mais nous n’y sommes pas. Nous vivons avec la culpabilité, mais sans pardon chrétien. C’est cela qui hante l’homme occidental. C’est la source véritable de la fatigue de l’Occident. (...)
Ceux qui pratiquent la «politique des identités», ces nouveaux pasteurs de notre temps, disent: venez à moi, vous qui vous sentez coupables. Je vous donnerai l’absolution. Vous devrez juste renoncer à votre nation (source de violence), à votre religion chrétienne (patriarcale et homophobe), à votre famille (hétéro-normative).
Et parce que nous n’avons plus la religion chrétienne, nous acceptons l’offre d’absolution de ces nouveaux pasteurs, même si cela signifie la destruction de notre nation, de notre religion et de nos familles.
Nous avons tellement faim d’une vie sans culpabilité, que nous sommes prêts à tuer notre civilisation pour y parvenir.
Source - Figaro Vox 10 septembre 2021 - extrait