Une part d'enfance sous le ciel de Saint Malo, l'hiver 1943-1944

Publié le par Passionsetbilletsactu

Voici un article sur le château de La Ballue qui m'a été envoyé récemment par son auteure, Marie-Thérèse. Amie d'enfance de ma mère, je l'ai toujours connue.

Je les vois toutes les deux en photo, sur la plage, toutes petites filles de deux ou trois ans à peine, très souriantes dans leurs pulls rayés et sous leurs immenses chapeaux de paille qui les dissimulent en partie.

Elles n'imaginaient pas alors qu'à peine quelques années plus tard allait fondre sur elle et leur enfance insouciante l'effroyable Seconde Guerre Mondiale.

Bien des années plus tard Marie-Thérèse et ma mère ont évoqué leurs souvenirs, et Marie-Thérèse s'est finalement décidée à envoyer un courrier à la revue Les Veillées pour partager les siens avec tous les lecteurs.

Aucune nouvelle de la revue... jusqu'à ce fameux numéro sorti au mois de juillet dernier, rubrique  "La Porte Ouverte" : Au Château de la Ballue... Voici donc les souvenirs d'une petite fille de l'hiver 1943-1944 près de Saint Malo :

 

"Au château de La Ballue"

Je vous écris à la suite de votre article des Veillées des Chaumières, du 16 avril 2008, concernant le château de La Ballue à Bazouges-La-Pérouse (Ille-et-Vilaine). J'ai habité là pendant l'hiver 1943-1944.

A l'époque, j'étais âgée de 10 ans, j'habitais à Saint-Malo avec mes parents et ma grand-mère, j'étais scolarisée au pensionnat de la Sainte-Famille, plus connu sous le nom de Moka.

A l'arrivée des troupes allemandes en 1940, le pensionnat fut réquisionné par l'armée, car les locaux étaient très importants. Les religieuses durent abandonner Moka.

Certains habitants de Saint-Malo mirent alors à la disposition des religieuses des pièces d'habitation, afin que les cours puissent reprendre presque normalement. Ma classe fut transférée dans une grande salle, située en dessous de l'église Marie-Auxiliatrice à Rocabey, dans la banlieue de Saint-Malo. Je me souviens aussi avoir eu très froid et, pendant les cours, je devais même garder mon manteau.

Les religieuses décidèrent de louer le château de La Ballue, pour répondre à ce problème d'organisation. Il n'y avait pas d'électricité alors, mais après quelques travaux, la rentrée scolaire put s'effectuer, en octobre 1943. Et c'est ainsi que je suis devenue châtelaine.

J'étais dans la classe des petites. Notre dortoir était au premier, à l'arrière du bâtiment. Au même étage, une grande pièce servait de chapelle.

Les petites allaient à la messe le vendredi matin, le dimanche matin et aux vêpres l'après-midi. Les grandes devaient assister à la messe tous les matins.

Nous avions très froid, cependant nous étions à l'abri des bombardements que nous entendions gronder au loin.

Je me souviens avoir beaucoup pensé à mes parents, retenus à Saint-Malo pour les besoins de l'entreprise.

Il y avait un car une fois par mois pour les parents. Ils arrivaient dans la matinée du dimanche et rentraient le soir. Nous allions déjeuner avec nos familles dans des petits restaurants de Bazouges. En fin d'après-midi, nos parents repartaient par le car après de cruelles séparations. Il y avait beaucoup de larmes.

Nous suivions celui-ci jusqu'au bout de la grande allée de sapins du château, après la grille d'entrée. Cette allée n'existe sans doute plus, car il n'en est pas question dans l'article des Veillées.

Nous n'avions aucun confort. Une cabane en planches abritait les toilettes à l'arrière du château. Pas d'eau courante non plus... Je me souviens être allée jusqu'à  la source, dans un petit bois, avec mes petites camarades chercher de l'eau avec de grands brocs. Nous allions aussi prendre le pain que le boulanger laissait à la ferme à proximité du château.

Pendant les promenades du jeudi après-midi dans la campagne, en plein hiver, nous avions très mal aux pieds à cause de nos galoches à semelle de bois, trop lourdes et peu confortables.

Je ne me souviens pas avoir vu de champs de pommes de terre. Pourtant il devait y en avoir... A  cette époque, les religieuses avaient bien du mal à nourrir tous les pensionnaires malgré les colis des parents.

L'hiver 1943-1944 fut particulièrement rigoureux, il y avait beaucoup de neige et un bassin complètement gelé.

Très dévouées, les religieuses s'occupaient de nous toutes avec soin. Pour les petites, une fois par semaine, elles allumaient un bon feu dans une très grande cheminée du château.

Nous avions alors droit à une grande toilette dans des bassines réservées à cet usage. Les autres jours, une petite cuvette avec un peu d'eau tiède suffisait au quotidien. Ce n'était pas très confortable et la toilette était vite faite.

Dans nos lits, nous avions plusieurs couvertures et un bon édredon. Le château n'était pas chauffé, c'était la guerre !

Il y avait en plus la peur de ne pas revoir nos parents.

 

En 1944, après les vacances de Pâques, les familles vinrent chercher leurs enfants. Tout le monde savait qu'un grand évènement se préparait, les routes restaient coupées pendant plusieurs semaines.

Mes parents arrivèrent avec leur camionnette à gazogène, il n'y avait plus d'essence. Après avoir chargé mon matelas et mes valises, direction Saint-Suliac, un petit village à quatorze kilomètres de Saint-Malo.

Mon père avait loué une maison pour plusieurs mois. Il avait pris soin de déménager les meubles de Saint-Malo afin de les mettre à l'abri des bombardements.

C'est de ce petit village qu'en août 1944 nous avons vu Saint-Malo brûler en plein après-midi, il faisait presque nuit. Des particules de cendres tombaient et une forte odeur de brûlé se répandit dans le village.

De nombreuses personnes arrivaient à Saint-Suliac avec seulement leurs bagages.

Quelques semaines avant, des contre-torpilleurs allemands étaient venus se réfugier en face de la maison que mes parents avaient louée, près de la Rance.

Heureusement, les avions alliés attaquèrent en piqué, ce qui évita la destruction du village et de ses habitants.

Je me souviens m'être réfugiée, avec ma mère et ma grand-mère, ainsi que d'autres personnes, chez un voisin qui avait un abri couvert d'une toiture en zinc.

Les éclats d'obus tombaient sur cette toiture et faisaient un bruit épouvantable.

J'étais blottie dans les bras de ma grand-mère qui récitait sans arrêt des prières à la Vierge Marie. De ces bombardements, j'ai gardé le souvenir d'avoir eu une peur épouvantable.

Mon père était resté dans la maison au premier étage, derrière les volets à moitié fermés. Avec ses jumelles, il suivait le bombardement des navires.

Ces années 1943-1944 sont restées gravées dans ma mémoire et j'aimerais que ces souvenirs rappellent aux nouvelles générations le bonheur de vivre en paix en France !

                                                                       Marie-Thérèse Villégier, née Desmas

 

 

Publié dans REGIONS FRANCAISES

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