Lundi de Pâques / La résurrection de Monsieur RAYMOND - Nouvelle par Luc Adrian ...
... ( Revue Famille Chrétienne )
Selon sa prédiction, Le Christ est ressuscité 3 jours après sa mise au tombeau. Sous un rayon de soleil ou sous la pluie, voici pour vous distraire une Nouvelle extraite d'un ancien numéro du magazine cité ci-dessus.
" Notre rédacteur aurait rencontré un célèbre humoriste dans le métro parisien, le lundi de Pâques 2003."
*
"Le lundi 1er avril, j'ai raté le métro de 5 h 15 à LA CHAPELLE. C'était l'aube du lundi de Pâques. Epuisé par le choc de la résurrection, je m'allongeai sur un banc pour piquer un roupillon quand un homme énorme, joufflu, vêtu d'un manteau sombre, est sorti du tunnel noir comme un tombeau. Il courait, s'épongeait le front et levait les mains au ciel. Je le reconnus, c'était un célèbre humoriste. Je lui lançai :
"C'est vous qui jouait avec les mots ?"
Il rattrapa la balle au bond : "oui et je cherche le Verbe. J'ai perdu le Verbe !" ( il soufflait, soufflait ).
"Ma parole, vous paraissez tout sens dessus dessous ... "
"Je suis déçu, au trente-sixième dessous ! Pensez, un monde sans Verbe n'a pas de sens !"
"Dites moi à demi mot : vous cherchez le Verbe à quel sujet ?"
Il a dit : " Je suis Celui qui "suis" mais je suis arrivé en retard ..."
"Vous aviez rendez-vous ?"
"Bien sûr, comme tout un chacun. Le Verbe m'a pris au mot, au pied de la Lettre. Il m'a invité à sa résurrection, mais je me suis perdu dans la nuit de Pâques. L'émotion ! Alors je l'ai cherché au Père Lachaise ( * célèbre cimetière de Paris ) au cas où il serait allé réveillé les morts, puis à La Trinité, enfin rue du Bac où sa Mère fait des apparitions. En vain. A la fin, j'étais Vaneau .. Voilà deux jours que nous nous courons après !"
Trois clochards nous entouraient sur le quai, ainsi que le balayeur, un jeune Noir vêtu d'un gilet vert. Le gros homme poursuivit :
"Je ne peux plus me passer de Dieu !"
Je lâchai, maladroit, intimidé : "vous êtes dévot ?"
"Oui, mais appelez-moi Raymond."
"Dieu, vous l'avez rencontré quand ?" interrogea un clochard.
"Juste à un moment où je doutais de lui. Un jour, je traversais un petit village de Lozère abandonné. En passant devant la vieille église, j'ai vu une lumière. Intense, insoutenable. C'était Dieu, Dieu qui priait".
"Ciel, mais qui Dieu pouvait-il prier ?" m'écriai-je
"C'est ce que je me suis demandé : qui prie-t-Il ? Il ne se prie pas lui-même. Non, il priait l'homme".
"L'homme !" nous sommes nous tous exclamés.
"Mais si, Dieu priait l'homme. Il me priait moi. Il doutait de moi comme j'avais douté de Lui." " Il disait" " oh homme, si tu existes, un signe de toi !"
J'ai dit : "mon Dieu, je suis là". Il m'a dit : "Miracle ! Une humaine apparition !"
J'ai dit : "mais mon Dieu, comment pouvez Vous douter de l'homme puisque c'est Vous qui l'avez créé ?"
Il m'a dit : "oui mais il y a si longtemps que j'en ai pas vu dans mon église, je me demande si ça n'était pas une vue de l'esprit".
J'ai dit : "Vous voilà rassuré, mon Dieu"
Il m'a dit : "oui, je vais pouvoir leur dire là-haut ... l'homme existe, je l'ai rencontré" ( 1 )
Les sans-abris restaient sans voix. Moi, j'étais coi. Il nous touchait, cet homme qui cherchait son Bien-aimé. Le litron passa de main en main.
"Moi je préfère l'eau delà au vin d'ici" soupira Monsieur Raymond. Il tira soudain une trompette miniature de sa pcohe, gonfla ses joues, pinça ses lèvres charnues et souffla dans l'instrument. Le solo se répercuta dans le tunnel. C'était Plus près de toi mon Dieu.
C'est l'air d'une prière qui n'en a pas l'air, soupira t il.
Un des clochards ne se démonta pas : " pourquoi on dirait pas demander aux Filles du Calvaire si elles l'ont pas croisé ?
Le balayeur sénégalais dit avec son accent plein de soleil :
" Monsieur Raymond, vous ne chercheriez pas Dieu si vous ne L'aviez pas trouvé. Votre purgatoire est terminé. Si j'étais vous, je sortirais du tombeau pour voir le bout du tunnel. Le Ressuscité est Vivant. Il vous attend à la lumière, à l'air libre !"
Monsieur Raymond le regardait avec des yeux ronds. Il serra la main de chacun et marcha vers l'entrée de la sortie. En silence. D'avoir retrouvé le Verbe, il avait perdu les mots.
***
(1) Paragraphe extrait du sketch "L'homme existe, je l'ai rencontré" ( dans Sens dessus dessous, par Raymond DEVOS - EDITIONS Le Livre de Poche)