Souvenir d'été dans les "années 30"/kermesse au jardin et accueil d'un petit chien
Raconté dans les "Veilées" par F. Huc alors âgée d'environ 14 ans et en vacances avec ses parents, à la campagne, dans le sud de la France/
"J'étais tombée par hasard, en allant chercher à la métairie des oeufs , sur une revue "le Chasseur Français" qui traînait sur la table. Je n'aimais pas ce journal avec ses fusils, ses carabines, ses cartouches, ses pièges en tous genres mais celui-là était resté ouvert sur la page "vente d'animaux".
Je le parcours pendant que la métayère va chercher des oeufs extra frais dans le nid des poules (...) Une dame âgée, obligée d'entrer en maison de retraite, doit se séparer de sa petite chienne. Elle en demande un prix minime (...) si l'acheteuse doit rendre sa Poupette heureuse.
Je cours à la maison avec mes oeufs et la page du journal (...) et je réunis, sous le gros maronnier de la grande cour d'entrée - que nous appelons l'arbre à palabres depuis notre plus tendre enfance - ma petite troupe composée de ma soeur, mes cousines, mon petit cousin et deux amies qui passent chez nous ce mois de juillet avec leurs parents.
Je brandis l'article, je le lis et le relis à haute voix (...)
- Mais, dit ma soeur, tu as les sous ?
- Non et c'est là justement le problème.
J'attends que l'un ou l'autre propose avec empressement de mettre en commun nos restes d'argent de poche, mais chacun autour de moi garde un silence prudent.
- Bon, dis-je, un peu déçue, il va falloir se le procurer, je vais réfléchir.
- Réfléchis pas trop, dit ma soeur, tu sais que papa dit que tes réflexions mènent tout droit à une catastrophe.
Je réfléchis quand même et soudain me vient l'idée lumineuse de la kermesse. Une kermesse que nous les enfants organiserions dans le parc (...) qui nous rapporterait de quoi acheter Poupette.
Ma mère accepte (...) De la cabane "range-tout" sortent les boules de pétanque, la table de ping-pong, une roue de vélo ( qui devient roue de loterie fixée solidement à un arbre), des sacs de jute (pour notre course en sacs), une vieille table (pour notre buvette). Je calligraphie les tickets de loterie, les billets d'entrée payante pour chacun de nos divertissements.
Je tiens à mon "lapinodrome", un jeu que nous avons vu dans différentes kermesses. Comme nous n'avons pas de lapins, nous les remplaçons par nos cobayes et nous inscrivons sur l'écriteau "Cochons d'Indrome".
Le dimanche matin, tout est en place. Les adultes, amusés, se prêtent gentiment à nos jeux, paient pour jouer avec leurs boules de pétanque, paient pour faire un tournoi de ping-pong, paient pour boire un verre de leur limonade ou de leurs jus de fruits, paient pour s'enfourner dans les sacs de jute poussiéreux.
Notre kermesse est une réussite. Le soir, sous notre arbre à palabres, nous comptons notre petite fortune. Nous avons assez pour faire venir Poupette. Mon coeur de future mère se dilate de bonheur...
Quand la voix de mon père retentit derrière nous. Homme juste, intègre, mon père nous dit ne voir aucune raison pour que je m'octroie - quel que soit le mal que je me suis donné pour organiser la kermesse - tout le bénéfice que nous en avons tiré. Et il faIt huit parts égales de notre tas de piécettes (...) sans vouloir voir les larmes dans mes yeux.
Le lendemain j'ai écris à la vieille dame pour qu'elle ne rate pas la vente du petit chien si elle avait d'autres demandes. Et je raconte la kermesse, notre petit bénéfice, puis le véto de mon père. Je vais en pleurant porter ma lettre.
Une semaine passe et je reçois une carte. La vieille dame, convaincue par mon aventure et de mon réel amour pour les animaux, certaine que sa Poupette sera heureuse avec moi décide de me la confier via une amie qui l'amènera. (...)
Tout le monde déjeune, moi mon estomac ne veut rien laisser passer. Je regarde l'heure, je houspille cousines, cousin, soeur et amies qui finissent par sortir de table, en emportant leur dessert sous le regard noir de mon père qui grommelle "que de son temps... et que "ma mère n'a aucune volonté" et que "plus tard elle récolterait les fruits de sa faiblesse".
Mais nous sommes déjà dans le parc (...).
Une dame porte dans ses bras un petit chien blanc et tout frétillant (...). Je tends les bras, ça y est, je le serre contre moi (...) la dame en riant nous fait de grands signes en partant (...).
Nous nous sommes aimés dès cette première minute, Poupette et moi et nous avons fait, dans la vie, un bon bout de chemin ensemble. Le temps que vit un chien !"
Joli récit d'été !